Introduction au georgisme

Le problème du foncier orbital

Fidèle à mon côté wittgensteinien, je ne vais pas vous assommer de définition, mais je vais essayer de vous expliquer le georgisme par l’exemple.

La principale application du georgisme est la fameuse Land Value Tax, une taxe qui ne s’applique qu’au foncier nu (si vous me suivez sur Twitter, vous avez du en entendre parler). Seulement voilà, quand on parle de taxer le bout de terre sur lequel les gens vivent, ça se passe plutôt mal. Je développerais une prochaine fois les arguments en faveur de la LVT.

Mais pour cette introduction, je ne vais pas parler de l’espace sous nos pieds, mais de l’espace au-dessus de nos têtes. Le problème est exactement le même, mais les gens ont généralement moins d’investissement personnel dans le sujet, et j’espère que cela aidera à mieux faire passer l’idée.

Le problème de l’orbite géostationnaire

L’orbite géostationnaire se situe à 36.000 km au-dessus de la Terre. Le fait qu’elle soit synchronisée avec la rotation de la Terre lui donne un avantage stratégique intéressant. Dûes à certaines limitations physiques (sécurité, chevauchement des fréquences d’émissions etc.), cette orbite ne peut être découpées qu’en 1800 slots. Et encore, certains se trouvent au-dessus de zones peu habitées (déserts, océans). Ce qui veut dire qu’un jour, tous les slots intéressants seront occupés (seulement 400 le sont pour l’instant).

Schéma de la Terre et de la portion de l’orbite géostationnaire réservée à chaque satellite

On espère que le mécanisme pour postuler à un slot avec une telle valeur doit être assez élaboré pour que personne ne puisse abuser de cette ressource en quantité très limitée fournie par la nature ?

Et bien pas du tout, le mécanisme en question est … “Premier arrivé, premier servi”.

Non, je ne blague pas, c’est la règle. Et le slot est à vous tant que vous l’occupez. La durée de vie d’un satellite est de 15 ans en moyenne, mais il suffit de le remplacer régulièrement pour garder le slot pour toujours.

Les meilleurs slots sont déjà occupés. Bien entendu, vous pourriez faire une proposition financière complètement indécente au pays ou à l’entreprise qui occupe le slot. Mais pourquoi perdre la main sur un tel avantage stratégique, alors qu’ils pourraient vous le louer à un prix exorbitant (lol) et vous extorquer tout votre bénéfice ?

Ricardo dans l’espace

Prenons un exemple fictif : vous espérez tirer 50 millions d’euros de bénéfice par an de votre satellite au-dessus de la France. Manque de bol, tous les slots sont pris. Vous contactez donc les entreprises qui occupent les slots, en leur proposant de racheter le leur.

“Racheter non désolé ce n’est pas possible” vous répondra-t-on en rigolant, “mais nous allons bientôt lancer un nouveau satellite, et nous pouvons vous louer une partie de sa bande passante”.

Combien cette compagnie pourrait vous demander pour le prix de la bande passante ? 25 millions ? 40 millions ? 49 millions ? Après tout, il vous resterait encore 1 million, et si vous ne pouvez pas lancer votre propre satellite, alors c’est 1 million ou zéro. Si vous n’êtes pas content, adressez-vous à la compagnie qui possède le slot d’à côté. Mais pourquoi demanderait-elle moins ?

Prenons le problème dans l’autre sens : imaginons que ce problème de slots n’existe pas, que la seule contrainte pour avoir un satellite dans l’espace est de le faire construire et le lancer. Pour simplifier nos calculs, supposons que cela coûte 150 millions. Sur une durée de vie de 15 ans, un satellite coûte donc 10 millions par an.

Donc si le slot n’était pas un problème, l’entreprise ne pourrait me demander qu’un chiffre inférieur à 10 millions, au-delà, j’aurais intérêt à lancer mon propre satellite.

Sauf que le slot est un problème. L’entreprise qui a le droit d’accès au slot (pour la simple raison qu’elle l’a occupé, gratuitement, avant moi) peut m’imposer une tarification dans l’autre sens : elle peut partir de combien je gagne (50 millions par an), et me laisser juste assez pour que le lancement soit envisageable. Tout ce que l’entreprise est capable de me demander au-dessus de 10 millions est donc une rente au sens économique du terme.

Le slot est du “land”

Qui a produit le slot ? Personne. La valeur de cet endroit particulier de l’espace repose entièrement sur les lois de la physique, que personne ne maîtrise aux dernières nouvelles.

Ces choses qui ont de la valeur et qui ne sont le fruit du travail d’aucune personne, mais simplement données par la nature sont du “land” d’après la théorie georgiste. Le nom vient de la terre, puisqu’elle a longtemps été la “nature” avant que notre technologie soit plus avancée. Certaines terres sont plus fertiles que d’autres, d’autres sont plus ensoleillées. Les terres en bord de mer sont plus propices à certaines activités (plage, navigation etc.), celles en montagne propices à d’autres (ski, randonnée etc.). Il en est ainsi, et personne n’est responsable de cela.

Mais il en va de même de l’espace orbital comme nous venons de la voir, ou du spectre électromagnétique (hertzien, télécommunications, etc.) Tout ça, c’est du “land”, et c’est à distinguer du capital et du travail.

Pourquoi une entreprise pourrait capter tous les revenus issus de la nature ? Parce qu’elle était la première à l’occuper ? C’est injuste pour les autres acteurs économiques, pour les nations qui ont un retard de développement, et c’est sous-optimal économiquement, puisque cela prive les consommateurs de certains services.

Je suis néolibéral, et pour moi le meilleur mécanisme d’attribution est le marché. Ce n’est pas toujours possible “naturellement”, mais il est possible de s’en rapprocher avec quelques petites astuces : enchères, licences renouvelables et bien sûr, Land Value Tax. Mais tout ça, ce sera pour de prochains articles.